Je vais essayer d'analyser ce contre-la-montre et la performance surpuissante de Pogacar qui devrait lui permettre de remporter son premier Tour, à 21 ans. Je vais essayer d'apporter des éléments précis et remettre sa perf dans le contexte du tour, ainsi que celle de Roglic.
Tout d'abord il est nécessaire de rappeler le contexte de ce tour de France.
Nous sommes dans une saison très particulière due à l'épidémie de Covid. Certains coureurs ont pu s'entrainer pendant le confinement (dont les slovènes, les belges, néerlandais et les colombiens) tandis que d'autres devaient se cantonner au Home-Trainer pour garder la forme. C'est le cas des français, italiens, espagnols et britanniques notamment. Est-ce que le fait d'avoir pu rouler et s'entrainer en extérieur a joué un rôle sur le niveau des coureurs de ces pays ? Difficile à dire, mais les très bons résultats des belges et slovènes notamment depuis la reprise est à noter.
On peut également se dire que le confinement a permis à d'éventuels tricheurs d'agir impunément grâce à l'absence de contrôles anti-dopages ! Soit pour se procurer des produits illégaux soit pour bricoler dans leur coin et accumuler de grosses charges de travail à l'entrainement. Toutefois rien n'est prouvé à ce niveau-là, et on va donc en rester au stade d'hypothèse.
Un dernier point lié à cette saison particulière est la fraicheur des coureurs, qui n'ont eu que très peu l'occasion de courir et se confronter aux autres.
Cet article résume très bien les choses et explique le très haut niveau de performance global sur cette édition. Ce qui en ressort est surtout la densité exceptionnelle de coureurs à très haut niveau, que ça soit au sein des leaders, mais aussi au niveau des équipiers.
Le parcours de cette année était également très montagneux (voir labo à parcours) et a engendré une fatigue très importante chez les coureurs. On peut d'ailleurs noter les très gros écarts au classement général, avec le plus gros écart entre le premier et le dernier depuis 1955
6h05' d'écart entre Pogacar et Kluge. Mais aussi 30 coureurs à plus de 5h au général, alors qu'en 2018 et 2019 par exemple, le dernier n'était "qu'à" 4h34' !
Mais les écarts se retrouvent également plus haut au classement, avec le 17ème à déjà plus d'une heure
Je laisse comparer ceux qui veulent mais ce genre d'écarts est inhabituel.
Et pourtant, à la veille de la dernière étape, la moyenne du maillot jaune n'est "que" de 39,6 km/h ! On est donc dans la moyenne basse par rapport aux dernières années, même si cela s'explique par une course plutôt attentiste en début d'épreuve (étape 1 en partie neutralisée, étapes 3, 5 et 6 escamotées...). C'est donc surtout le parcours ultra montagneux qui aura épuisé les organismes des coureurs.
Concernant Pogacar, on l'a vu monter en puissance depuis le Dauphiné jusqu'au Tour de France. Il a semble-t-il atteint sa meilleure forme dans les Pyrénées, reprenant du temps lors de sa très puissante ascension de Peyresourde. Ce jour-là, il a repris 40 secondes aux autres favoris, après avoir perdu 1'21" la veille lors de bordures. Peut-être a-t-il lors de cette étape bénéficié d'une certaine indulgence (ou négligence) de la part de Roglic notamment, mais il a également réalisé une performance exceptionnelle dans cette ascension, qui a permis de battre tous les records, y compris ceux des sombres années 2000. 6,8 W/kg pendant près de 25' selon ce tweet, estimé à 6,5 selon d'autres calculs, alors qu'il y avait déjà eu le Port de Balès monté rapidement juste avant.
Néanmoins on peut tempérer cette performance par des conditions favorables dans la montée ainsi que des étapes escamotées de la première semaine qui ont permis de ne pas trop taper dans les réserves. Mais cela annonce déjà un niveau très élevé !
Les étapes suivantes sont du même acabit, avec des performances très élevées pour le groupe Pogacar, Roglic, Bernal et Landa dans Marie-Blanque, et au Puy-Marie Pour le duo Pogacar/Roglic.
Les étapes des Alpes (et le GC) ont quant-à elles opéré des sélections par l'arrière, qui ont vu sortir de la lutte au général des coureurs très solides comme Bernal, Quintana, Martin ou plus tard Uran et Yates.
Ce niveau très élevé parmi les favoris a donc permis d'avoir des écarts plutôt resserrés entre eux, à l'inverse du reste du peloton. On a tout de même vu Roglic et Pogacar (et dans une moindre mesure Lopez et Porte) prendre un léger avantage lors des fins d'ascension. La dernière étape de montagne vers la RSF a mis en lumière la légère mais existante supériorité de Roglic sur ses adversaires. Pogacar n'arrivant pas à le décrocher de sa roue dans la montée des Glières.
Le chrono de la Planche d'aujourd'hui semblait donc favorable à Roglic, qui présentait une avance de 52" secondes sur son dauphin Pogacar au départ.
Sur le clm de la Vuelta 2019, Roglic l'avait emporté sur 36 kms vallonnés avec 1'29" sur Pogacar, en début de deuxième semaine.
A l'inverse, lors des championnats de Slovénie ITT 2020, Pogacar l'emportait avec 9" d'avance sur l'ancien sauteur à skis, sur une montée de 15 kilomètres !
Jusque là, le jeune slovène avait montré de belles aptitudes en CLM, se classant régulièrement dans le top 10/20 des épreuves chronométrées de courses par étapes, depuis son passage chez les pros. Avant ça, il n'avait pas montré de telles capacités, chez les juniors et les amateurs. Mais on peut se dire là dessus que le passage chez les pros lui a permis de progresser "techniquement" ==> meilleure position, équipements plus aéro, etc...
Bref, pas grand chose ne destinait Pogacar à signer un aussi beau chrono aujourd'hui. On peut tout de même évoquer ses bonnes capacités de récupération entrevues sur la Vuelta 2019 qui lui ont peut-être permis d'avoir une relative fraicheur face à ses adversaires. Mais sa jeunesse et ses fins d'étapes alpines ne vont pas non plus dans ce sens...
Passons au CLM en lui-même maintenant.
Dans la première partie plate jusqu'au km 14,4 :
Cavagna en tête devant Dumoulin (+12") et Pogacar (+17"). Roglic (+30") concède donc moins d'une seconde au km sur Pogacar dans cette partie.
Du premier au deuxième inter (légère montée puis courte descente):
Pogacar est le plus rapide en 22'30" devant Dumoulin (+4") et... Roglic (+23")
Au pied de la montée, Dumoulin est donc le plus rapide d'une seconde devant Pogacar. Cavagna et Roglic arrivent ensuite. Roglic perd donc déjà 36" et n'en a donc plus que 21 d'avance !
Sur la montée, Pogacar est encore le plus rapide, en 16'10", soit 22" de moins qu'un Porte stratosphérique et 42" sur un WVA fortement décrié ces derniers jours, mais qui est semble-t-il parti un peu moins fort sur la partie plate de ce chrono.
Roglic signe lui le 11ème temps de la montée, à 1'20" du monstre Slovène. Il monte environ dans les temps de Landa (-7"), Carapaz (-8") qui a lui tout donné uniquement dans la montée
, Mas (-30"). Il monte plus vite que Dumoulin (+2"), Uran (+4"), Quintana (+9"), Pinot, Martin, Yates, etc...
Il fait donc une montée correcte mais bien loin du monstre Pogacar. Celui-ci a été régulier sur toutes les parties du chrono, faisant presque jeu égal avec les meilleurs rouleurs sur le plat et explosant ceux-ci dans la montée finale. Ceux ayant limité les dégâts dans la montée étant ceux qui ont réalisé des temps moins bons sur le plat, hormis peut-être l'ogre Wout Van Aert.
On peut essayer de comparer les temps de montée sur ce segment qui semble très précis par rapport au chronométrage officiel de l'inter 2 à l'arrivée à 2 ou 3 secondes près :
https://www.strava.com/segments/16637606?filter=overallPogacar monte donc à peu près aussi vite que Fabio Aru en 2017, voire même plus rapidement.
L'italien avait à l'époque attaqué à 2,4 kms de l'arrivée, après avoir passé le reste de la montée et de la journée dans le peloton. Ce jour là, l'étape avait été simple et plutôt rapide, mais présentait peu de difficultés. La Planche avait donc été abordée comme une pure CC, facilitant le concours de watts.
Aru avait donc produit une attaque très tranchante puis résisté au retour des poursuivants pour s'y imposer. C'était donc un effort très violent qu'il avait produit. A l'inverse, Pogacar a pu lisser son effort au long de la montée, mais il avait lui 30 kilomètres de "plat" à se farcir à bloc avant !! La perf est donc d'autant plus monstrueuse qu'elle intervient en avant-dernière étape du tour, contre la 5ème étape pour Aru. Et ce alors que l'italien avait pu s'économiser dans les roues dans la première moitié d’ascension. Chronowatts indique environ 6,65W/kg pour Aru ce jour-là. Pogacar a donc du probablement développer encore plus de watts aujourd'hui, d'autant qu'il a perdu une dizaine de secondes dans son changement de vélo
Point 2 / Point 3 : 3,3kms
Pogacar : 9'31"
Porte : 9,36"
Point 3 / Arrivée : 2,6kms
Pogacar : 6'40"
Porte : 6'55"
On peut voir que Pogacar reprend la majorité du temps à Porte sur la fin de l'ascension, ce qui montre qu'il a très bien fini ! J'ai donc comparé les montées sur Strava de Bardet en 2017 et Porte en 2020. Bardet lui reprend en gros 23" sur les 1,5 derniers kms, moment où le groupe des favoris avait bougé derrière Aru ! Ils avaient donc produit un effort maximal, probablement équivalent à leur PMA (ou très proche). Pogacar reprenant aussi 15 secondes à Porte sur la fin d'ascension, on peut presque dire qu'il aurait pu suivre le groupe Bardet/Froome/Porte(déjà) en se calant dans les roues ! C'est donc d'autant plus monstrueux après son début de chrono supersonique !
Il faudrait voir si Pogacar met son CLM sur Strava pour pouvoir l’analyser, et notamment les watts, mais je pense qu'on tient là une des plus grandes perfs des 10 dernières années !
Voilà pour moi