Attention, long commentaire.
L'an dernier, les mots m'ont manqué pour critiquer l'indigence du parcours dessiné par les caciques d'Issy-les-Moulineaux (histoire de citer ce cher André). Une véritable Vuelta a Francia qui partait dans tous les excès en terme d'arrivées en montée, avec un cruel manque d'originalité dans les montées jusqu'à glorifier un petit 2ème catégorie qu'était Montvernier. La première semaine m'avait peu emballé au vu des possibilités. La deuxième partait bien avant de multiplier les erreurs comme Beille, les 100 km de plat vers Mende, et surtout ce diptyque Valence / Gap qui m'a paru être une véritable insulte. Et cette troisième semaine, qui montrait de belles choses sur le papier mais qui était systématiquement gâchée par un ou deux détails. Comment ne pas oublier ce col des Champs qui semblait promis, ou ce remake copier-coller de l'étape de 2011 que même Mère Nature n'a pas semblé vouloir en faisant écrouler la montagne au-dessus du tunnel du Chambon. Je m'emporte un peu, certes.
Et pourtant, malgré ce parcours que je qualifierais de particulièrement médiocre, il faut reconnaître que la course a été belle et a montré des grands moments de sport. Et si on a cru que Froome serait intouchable du début à la fin, la succession d'étapes en montagne dans la dernière semaine a montré qu'il pouvait vaciller sur une fin éprouvante. 2015 restera dans les mémoires, ou du moins dans les nôtres, d'un mauvais parcours magnifié par ses champions. Il faut reconnaître que le plateau de coureurs était de haut niveau. Du coup, sitôt les Champs-Élysées franchis, nous nous sommes posés les questions sur 2016. Par où, par quoi. Rapidement une tendance s'est dessinée, et elle allait contredire les premières prédictions. Pas d'alternance, et des étapes de montagne en veux-tu en-voilà en Haute-Savoie. Un été qui fut également marqué par des "fuites" de parcours venant du Gruppetto... Que beaucoup de gens trop excités ont pris pour un véritable parcours. Quel ne fut pas mon sourire et mon rire en voyant mon propre parcours partir dans tous les sens sur internet, confirmant ou infirmant la présence de villes sur le parcours. Ce jeu de piste 2016 aura été plein de surprises.
Et quand Christian Prudhomme a mentionné ce jeu de piste, c'est un peu comme un hommage à tout ce qui a été fait ces précédents mois par Thomas Vergouwen, les communautés de Velowire et du Gruppetto. Et forcément, je ne pouvais m'empêcher d'avoir un grand sourire lorsqu'il a parlé de ces parcours farfelus, comme celui de Sporza, ou d'un certain parcours "très bien documenté". Au final, sans compter la Manche, 9 villes-étapes du vrai Tour 2016 étaient communes à mon parcours que j'avais créé en novembre dernier. Je ne sais pas s'il parlait de moi, ou d'un autre parcours du Gruppetto, mais bon.
Enfin, le fameux parcours s'est révélé au grand jour. Cette fois pas de fuite pour nourrir ou doucher nos espoirs, mais c'est avec une certaine appréhension qu'on était devant nos écrans. Allait-on assister à des boucheries d'étapes comme en 2015, ou à des belles surprises comme en 2014.
Rapidement, le constat fut clairement établi : la patte Gouvenou est de retour.
PREMIÈRE SEMAINE : Équilibrée et intéressanteSi les détails du grand départ "Manchot" était connus depuis quelques mois déjà, je me permettrai de revenir un peu dessus. ASO ces dernières années veut valoriser les sprinteurs en première semaine en leur permettant de se parer de jaune. Je n'ai rien contre une entame plane, d'autant plus qu'elle sera exposée au vent et tournicotera un peu : si le risque de bordures est moindre qu'en Zélande l'an dernier, elle pourrait être intéressante. Vient ensuite une étape pour puncheurs à Cherbourg, au final bien senti. Quelques petites côtes vont émailler le parcours, mais sans commune mesure qu'un Sheffield 2014, qui à mon sens représentait une des meilleures étapes de week-end d'entame. On est plus proche d'une étape de plaine de 2015, entre Mûr-de-Bretagne et Huy. Néanmoins son placement est bon et je m'en réjouis, là où la même étape en première semaine en 2015, placée différemment m'aurait certainement plus fait tiquer. Suivent ensuite deux étapes vers Angers et Limoges.
Ici, ma déception ne vient pas du fait que ce sont deux longues étapes pour sprinteurs, car après tout il en faut : mais ma pensée vient à Bressuire, qui avant l'annonce de Saumur comme départ d'étape, était tout indiqué pour un départ. Ils devront encore attendre leur Tour alors qu'ils voient, année après année, des petites villes placées ça et là trouver leur place. Une nouvelle fois, le Poitou-Charentes est volontairement ignoré par ASO, et je trouve ça bien dommage, car pour une fois, le grand ouest pouvait avoir sa place sur un Tour. Pour en revenir au principal, ces étapes de sprinteurs seront sans grande difficulté et je trouve que ce n'est pas plus mal car elles ne seront pas artificiellement gonflées par une côte raide non catégorisée à 400 m de la ligne. Les purs sprinteurs doivent pouvoir trouver des terrains d'expression, mais il est vrai, un final piégeux peut aider à dynamiser l'étape. Pas systématiquement, mais ponctuellement.
Vient ensuite une de nos interrogations : Le Lioran. Après le Peyrol, montée décevante par Murat ou l'enchaînement rêvé par le Perthus et Cère ? Et je n'ai pu me retenir de lâcher un gros "YES" de soulagement et de satisfaction quand le tracé a révélé la deuxième option. Gouvenou marque un point et n'a pas cédé à la tentation d'une arrivée au sommet entre le 2C et le 3C. Une belle étape de moyenne montagne, même si j'aurais aimé que le Peyrol soit monté par le versant nord commençant au Falgoux plutôt que par Salers afin d'avoir un vrai 1C au final explosif. Néanmoins, on ne peut que se réjouir de ce final. Après une nouvelle étape de transition vers Montauban (avec quelques petites côtes qui ont l'air sympathiques sans pour autant empêcher les sprinteurs de l'emporter facilement), arrivent ensuite les Pyrénées. Cette non-inversion est une bonne chose après 7 années d'alternance consécutive et permet de varier un peu les plaisirs. Et en guise d'entame, Payolle. Allait-on avoir enfin la mise en valeur ultime du Tourmalet, ou alors un tracé purgesque style Route du Sud ou même Bouhanni avait réussi à faire 3ème ? M. Gouvenou nous répond par un passage par le raditionnel Aspin. Si je ne comprends toujours pas sa fichue présence sur le Tour 2015, ici il représente un magnifique final d'étape. Bientôt un final par Beyrède ou par le Tourmalet ? On l'espère, car Payolle porte beaucoup de promesses.
Enfin le week-end pyrénéen. Le Pau-Luchon modernisé est intéressant, en retirant l'Aubisque et en remplaçant Aspin, star de la veille, par Ancizan, Azet. Les leaders ne risquent pas trop de bouger cependant, ce sera une étape pour les échappés. Etape donc un peu gâchée mais qui ne sera pas trop inutile non plus pour le GPM. On finit cette première semaine par le fameux passage en Andorre tant discuté. Si Bonaigua et Canto ne faisaient aucun doute, les montées Andorranes sont restées un grand mystère pendant longtemps. L'étape est mi-figue mi-raisin pour ma part, car si elle emprunte les beaux "petits" raidards que sont la Comella et Beixalis, je ne peux que regretter le choix d'arriver à Arcalis alors que Pal ou Arinsal s'offraient au pied du Beixalis, et surtout, l'ignorance "volontaire" du col de la Gallina alors qu'il était à mon sens inévitable. L'occasion de donner une exposition maximale à l'une des dernières découvertes de la Vuelta... Et c'est bien dommage. Le final vers Arcalis reste tout de même acceptable, tant qu'il ne sera pas flanqué de la classification HC qu'il a complètement usurpée en 1997 et 2009.
En tout cas, ce Tour 2016 commence plutôt bien.
DEUXIÈME SEMAINE : La (petite) pointe d'amertumeJe ne souhaitais pas quitter l'Andorre en passant par l'Envalira, car à mon sens cela faisait un col de trop pour sortir des Pyrénées, et puis cela rend la "Cima Virenque" (ou plutôt le Souvenir Henri Desgrange) bien trop facile à emporter. Je privilégiais un long détour par la Cerdagne quitte à taper les 250 km, une longueur d'étape vue trop rarement sur l'épreuve. Le final à Revel, déjà vu par le passé, risque néanmoins de perturber le sprint final : de quoi tout de même être satisfait. De plus, le lendemain les sprinteurs auront réellement leur chance avec l'étape de Montpellier. Pas de Mont-Saint-Clair cette fois, mais comme je l'ai dit, il en faut pour les purs sprinteurs, et cela ne me dérange pas vu son placement. Arrive ensuite le fameux gros week-end du 14 juillet, pour peu qu'on fasse le pont. Et là, sans être non plus scandalisé comme l'an dernier, j'ai un poil du mal à me satisfaire de tout ça.
Tout d'abord, la course de côte au Ventoux, bien que toujours exigeante, est un peu de trop comparé à ce qui arrive ensuite. Froome étant le roi de ce genre d'étapes, il risque fort d'y taper un grand coup, et du moment qu'on connaît un peu la région, on peut placer des difficultés avant le Ventoux. Mais sincèrement, sa présence ne me dérange pas tant que ça. Juste que je voyais plus l'apparition du géant de Provence l'année prochaine, pour une raison maintes fois répétée. Après, le fameux contre-la-montre ardéchois. Cher à mon coeur car il part de la ville où j'y ai passé toute mon enfance, du coup c'est un peu la larme à l'oeil que j'ai vu sa présence sur le parcours. Cependant, le tracé choisi me déçoit un peu : il manque un peu de kilométrage et ne montre que la vraie perle du département que sur moins de 10 kilomètres : car le Plateau du Laoul, c'est pas mal visuellement mais les hélicos auraient pu prendre de plus beaux panoramas avec une route plus longue (45 ou 55 km) qui longeait les Gorges plus longtemps. Forcément, je suis heureux de voir le Tour passer dans ma région de cette manière - mais il y a un petit truc qui empêche à mon sens que la fête soit totale. M'enfin, y aura toujours l'hélico pour montrer les beaux paysages.
La déception continue un peu avec l'étape du samedi totalement dévolue aux sprinteurs. Je suis toujours le premier à fustiger les étapes plates en week-end, et je ne dérogerai pas à la règle ici. C’est une étape un peu mal placée, mais ici c’est un mal nécessaire au vu de la suite des événements, encore une fois. Mais là où j’ai littéralement vomi sur l’étape de Valence l’an dernier, je ne serai pas aussi virulent cette année et ce pour deux raisons : la première, c’est que la vallée du Rhône qui est traversée est très venteuse et propose juste quelques côtes, là où vers Valence l’an dernier on traversait le Vivarais et des millions de possibilités corsées s’offraient à ASO. Et puis surtout, c’était pour proposer une étape de baroudeurs copier-coller le lundi, là où cette fois le week-end s’achèvera avec une vraie étape de grimpeurs dans l’Ain.
Et cette étape, franchement, me surprend. Car si je ne jurais que par l’apparition du col de la Biche, que j’estimais indispensable, ici Thierry Gouvenou nous pond un début d’étape absolument splendide avec plein de cols de 2C et de 3C, de vraies montagnes russes. Mais la fin me déçoit. Tout d’abord, pourquoi monter par Lochieu, alors que le terrible versant de Virieu tendait les bras à quelques kilomètres ? Et puis la deuxième raison, pourquoi rajouter une boucle des 10 premiers kilomètres du versant Culoz pour rajouter un côté télégénique à l’étape ? Bref, j’ai un peu du mal à comprendre cette étape : mais je pense, avec un peu de recul, que sportivement elle pourrait être très, très intéressante à suivre. C’est juste dommage de ne pas avoir profité du versant qui valait le plus la peine d’être utilisé car le début d’étape est génial. La transition vers Berne, sans trop de fioritures et sans trop en faire, offre un dernier objectif aux sprinteurs avant les Champs, et cette fois bien placé puisqu’étant un lundi.
Cette deuxième semaine me laisse donc un petit goût d’amertume dans la bouche car il était possible de faire mieux en prenant d’autres possibilités. Mais là où j’avais déjà sauté de mes gonds l’an dernier, je restais tout de même satisfait en arrivant sur cette troisième semaine.
TROISIÈME SEMAINE : Un rêve de traceursLe mercredi fait déjà rêver. Alors qu’on pensait que la majestueuse et exigeante montée vers Emosson ne resterait qu’un fantasme pour le Tour, ASO compte nous prouver le contraire. Cette étape cependant ne restera qu’une course de côte en deux parties, mais qui risque d’être aussi spectaculaire que le Ventoux – mais comme dit précédemment, ça fait une course de côte en trop. Quitte à garder Emosson, j’aurais privilégié une étape de baroudeurs arrivant en Ardèche. Mais on ne refait pas le parcours et après tout cela reste satisfaisant. Du coup, j’attends avec impatience cette étape. Mais niveau surprises, Gouvenou a voulu garder le meilleur pour la fin. Tout d’abord, un CLM en montée entre Sallanches et Megève : on avait plus vu tel exercice depuis 2004, même si le CLM de Chorges de 2013 était déjà très exigeant dans le style. Avec un profil très irrégulier grâce à Domancy, il faudra trouver le ou les bons braquets pour garder un rythme soutenu : du coup, il faudra surveiller les écarts de très près.
Puis vient Albertville – Saint-Gervais. La rumeur des « 3 Forclaz » s’est donc avérée vraie avec l’apparition de la Forclaz de Montmin et de la Forclaz de Queige. Et là où on s’attendait à voir les montées de Cohennoz et du Cernix grâce à ce fameux tweet de Thierry Gouvenou, il faut reconnaître, on s’est tous fait berner. Ou plutôt troller. Mais c’est pour mieux nous surprendre derrière. Car là où on ne l’attendait pas, le directeur du tracé nous sort la montée de Bisanne. Et c’est certes une très belle chose de la voir, même si la suite de l’étape reste moins intéressante – néanmoins, la descente vers le pied du Bettex se fait par paliers, et le début de la montée emprunte le mur des Amerands pour donner à la montée finale un coup de cul au départ bien senti. Du coup, cette étape me satisfait aussi particulièrement – même si je reconnais qu’inverser le Bettex et Megève aurait certainement donné un meilleur résultat en valorisant mieux Bisanne. Mais rien que dire que Bisanne est sur le parcours officiel d’un Tour, alors que ça fait des années qu’on en parle ici, ça laisse rêveur.
Enchaînons sur l’étape décisive de ce Tour, entre Saint-Gervais et Morzine. Une étape assez classique sur son départ avec les Aravis et la Colombière, mais qui montre sa puissance sur la fin avec la Ramaz et le terrible Joux-Plane en juge de paix. Cette étape ressemble un peu à celle du plateau de Beille en apparence, mais ici les pourcentages sont nettement plus raides. Et la petite descente en fin d’étape fera que chaque seconde comptera. Un très beau final pour clore la montagne sur ce Tour. L’étape des Champs-Élysées restera sa parade traditionnelle en l’absence de contre-la-montre et une nouvelle fois, pas de Montmartre – faudra peut-être que je me fasse une raison. Mais je n’en tiendrai pas rigueur cette fois-ci.
CONCLUSIONUn vrai putain de soulagement. Je préfère dire les bons mots car cette édition 2016 s’annonce sous les meilleurs hospices. Un déluge d’inédit, autant en terme de villes-étapes que de cols, des parcours qui sortent du lot, et une structure cohérente. Certes, les détracteurs trouveront peut être qu’il y a trop de montagne, mais ce n’est pas inhumain à la Angelo Zomegnan. On a une bien meilleure utilisation des difficultés et des possibilités par rapport à l’an dernier. Certes, il y a des regrets, il y a quelques erreurs, il y a des oublis volontaires. Mais ASO fait ses choix – cette année cependant, je les respecte bien plus. Car ils ont aussi sortir des sentiers battus, et même s’ils passent par leurs classiques, ils n’ont qu’un rôle secondaire. Le Tour part à la découverte de nouveaux horizons, comme nous le faisons depuis de nombreuses années – et peut être que notre réputation grandissante leur a donné des idées. Ou peut-être qu’on y est pour rien, mais j’aimerais croire à cette hypothèse-là.
Le Tour montre de fort belle manière qu’il peut encore surprendre et étonner loin de ses mythes. Il peut exiger, il peut s’imposer, il peut créer de nouvelles histoires sur des pentes rarement vues. Et bien qu’il n’ait pas à sa disposition des montées monstrueuses comme le Zoncolan ou l’Angliru, il a ses propres armes et les sort de son chapeau dès que nécessaire. Après, ma plus grosse déception vis-à-vis du Tour, reste cependant les « promesses » faites à certains maires, que Christian Prudhomme n’est pas sûr de tenir. Certaines villes attendent toujours leur Tour malgré les demandes et parfois l’argent appelle l’argent – même si, aujourd’hui sur le parcours, on voit beaucoup de petites villes comme Culoz grâce au soutien des communautés de communes. Mais c’est surtout une pensée pour ces villes qui désirent plus que tout recevoir l’épreuve… Et qui se voient contournés par le parcours. Un jour, leur Tour viendra. Et espérons qu’il soit aussi réussi que celui là.
Le Tour revient de loin, et espérons que les coureurs embelliront encore davantage ce très beau parcours… Après avoir tartiné de maquillage et de poudre aux yeux l’abomination de l’an dernier.
15/20