Une stat sur le "final" des Tours de France et l'intérêt (ou non) d'un contre-la-montre sur les Champs Elysées, en terme de suspense pour le général.
Depuis 1975 (avant, ça n'avait pas trop de sens), j'ai regardé aux résultats du dernier contre-la-montre, s'il n'y avait ensuite plus d'étape "difficile".
Je n'ai pas compter le chrono de 6 kilomètre sur le circuit des Champs les années où il a eu lieu le matin, avant une course en circuit ensuite.
Je n'ai pas non plus compté le cas d'un dernier contre-la-montre très montagneux (type Avoriaz 94) comme dernier chrono, car pas comparable ici.
J'ai compté Armstrong gagnant, car sportivement, cela reste interprétable.
Je n'ai pas compté 2006, car trop complexe (Pereiro perd le jaune pour Landis, mais gagne le Tour a posteriori).
Je n'ai pas compté 2010, idem (Contador creuse l'écart sur Schleck, mais Schleck perd du temps sur Menchov)
Cela donne un échantillon de 35 tours.
22 fois, le maillot jaune creuse l'écart, dont 17 victoires d'étapes (quasiment une fois sur deux).
8 fois le maillot jaune perd du temps, dont 4 fois moins de 20 % de son avance (soit quasiment rien) et une seule fois plus de 75 % (2007 avec Evans revenant à 23" de Contador, sur un retard initial de 1'50").
5 fois le maillot jaune a changé, en :
- 1978 : Hinault avait 14" de retard sur Zoetemelk et lui reprend 4'10"
- 1987 : Roche avait 21" de retard sur Delgado et lui reprend 1'01"
- 1989 : LeMond avait 50" de retard sur Fignon et lui reprend 58"
- 1990 : LeMond avait 5" de retard sur Chiappucci et lui reprend 2'21"
- 2011 : Evans avait 57" de retard sur Schleck et lui reprend 2'31"
En tout, si on regarde les fois où ça s'est joué à relativement peu, on peut citer 1987 et 2007 à la limite, mais on vit surtout dans le souvenir et le fantasme de 1989.
On n'a eu un retournement de situation que 14 % du temps.
On n'a eu un suspense relatif une fois le chrono lancé que 8,5 % du temps.
Bref, le contre-la-montre est un bel effort, mais il n'a pas un rôle de "suspense" nécessitant une mise en avant particulière sur les Champs Elysées.
Le mettre, statistiquement, ferait juste perdre l'occasion aux sprinteurs d'avoir leur arrivée la plus mythique de l'année. On emmerde suffisament les sprinteurs à ne plus vouloir d'arriver groupée tout le long de l'année pour qu'on puisse au moins laisser ce final là.
Cela dit, ce résultat est légèrement biaisé, car la hiérarchie se fait naturellement sur 3 semaines et l'étape de montagne à la veille de Paris est elle aussi un leurre.
Sur le même échantillon, le nombre de fois qu'un maillot jaune a été mis à mal en fin de course (perte d'une majorité de son avance ou perte du maillot jaune, ou situation se jouant à quelques secondes) :
1977 : Kuiper revient à 8" de Thévenet à L'Alpe d'Huez, mais recule à 36" dans le chrono de 50km à Dijon, puis à 48" lors du chrono matinal de 6 km sur les Champs
1978 : L'écart entre Zoetemelk et Hinault ne bouge pas et reste à 14", ça se jouera dans le chrono.
1987 : maillot jaune "patate chaude" entre Roche et Delgado dans les Alpes et jusqu'au chrono.
1989 : maillot jaune "patate chaude" entre LeMond et Fignon presque tout le Tour.
1990 : L'écart entre LeMond et Chiappucci ne bouge pas et reste à 5", ça se jouera dans le chrono.
2003 : seulement 18" entre Armstrong, Ullrich et Vinokourov avant l'étape de Luz-Ardiden.
2008 : seulement 8" entre Schleck, Kohl et Evans, mais c'est le coéquipier du maillot jaune Sastre, à 49", qui fera la différence dans L'Alpe d'Huez
2010 : seulement 8" entre Contador et Schleck, mais pas grand chose finalement dans le Tourmalet à part des jolies photos dans le brouillard
2011 : le peu d'écart au général vient surtout de la résistance de Voeckler, maillot jaune grâce à une échappée. Peu d'écart entre les favoris, Contador anime mais avait perdu le Tour déjà.
2017 : seulement 27" entre Froome, Uran et Bardet avant l'Izoard changeant peu les choses, Froome fera la différence dans le chrono de Marseille.
Je ne compte pas le retournement de situation WTF dû à Landis en 2006.
On a donc moins d'un Tour sur 3 présentant un suspense relatif au départ de la dernière étape de montagne.
Certes un changement de situation est toujours faisable, mais les "défaillances" relatives de maillot jaunes ont toujours eu lieu avec suffisament d'avance, soit parce que le leader avait suffisament fait la différence avant (comme Armstrong à Morzine en 2000), soit parce que le dauphin s'y est pris trop tard dans la course (comme Quintana en 2015).
Cependant, le ratio est meilleur et on comprend que ça vaille le coup de se tenter, même si cela se fait aux dépends du premier massif, qui a perdu de son intérêt sportif dans une telle configuration.
Cela amène à un autre débat et l'échantillon est plus faible.
Mais la montagne la veille de Paris, on a eu :
2009 avec le Ventoux : rien dans les Pyrénées, mais ils n'étaient pas non plus tracés pour.
2011 avec L'Alpe d'Huez : une inaction horriblement moche dans les deux grandes étapes Pyrénéennes
2013 avec le Semnoz : meilleures Pyrénées, mais cela reste un des plus gros "et si ... ?" de l'histoire récente du Tour en n'osant pas se mettre en route vers Bagnères-de-Bigorre
2015 avec L'Alpe d'Huez : Froome très fort le premier jour, on laisse les autres aux baroudeurs et on se regarde lamentablement ensuite
2016 avec Morzine : peu d'écarts dans les Pyrénées (13 coureurs en moins de 1'30"), overdose générale de montagne cette année-là
2019 avec Val-Thorens : ça attend les 2 derniers kilomètres au Tourmalet, mais ça a osé bougé un peu plus vers le Prat d'Albi (enfin ! merci Thibaut Pinot, pas récompensé pour cela)
Et si garder des étapes difficiles pour le dernier weekend était en fait une mauvaise idées